LIMBOURG (LES)

LIMBOURG (LES)
LIMBOURG (LES)

Si le souvenir des Limbourg ne s’effaça pas immédiatement de la mémoire des générations postérieures – la figure légendaire des «trois frères enlumineurs» est évoquée bien après leur mort par Guillebert de Mets, et Jean Pèlerin dans son traité De artificiali perspectiva (1501) parle avec éloge d’un peintre «Paoul», identifiable, semble-t-il, avec Pol de Limbourg –, ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle, grâce aux travaux de Léopold Delisle et du comte Paul Durrieu, que leur importance dans l’histoire de la peinture française a été pleinement reconnue. Il peut paraître paradoxal que ces trois artistes, nés et en partie formés aux confins de la Hollande actuelle, soient considérés de nos jours comme les meilleurs représentants de l’enluminure française du début du XVe siècle; le paradoxe n’est qu’apparent et reflète bien la situation cosmopolite du milieu artistique parisien à cette époque, où la capitale française drainait au service d’une clientèle assoiffée de luxe ce qu’il y avait de meilleur dans le potentiel artistique de l’Europe.

Les débuts

Originaires de la Gueldre – les recherches de F. Gorissen prouvent qu’ils ne perdirent jamais contact avec le reste de leur famille, installée à Nimègue –, Pol, Herman et Jean de Limbourg appartenaient à une lignée d’artistes: leur père Arnold était sculpteur sur bois, et leur oncle n’était autre que Jean Malouel, peintre attitré du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. C’est à cet oncle bien en cour qu’ils furent probablement redevables de leur carrière en France. Un document d’archives apprend qu’en 1399 deux des frères, Herman et Jean, «encore jeunes enfants», se trouvaient en apprentissage dans l’atelier d’un orfèvre parisien. Malgré leur jeune âge, les trois frères semblent avoir atteint rapidement la notoriété, puisque dès 1402 Philippe le Hardi leur confiait l’illustration d’une «très belle et notable Bible». Si cette première commande s’identifie bien avec la Bible historiée (Bibl. nat., ms. fr. 166), dont seuls les trois premiers cahiers sont de la main des Limbourg (l’œuvre ayant été sans doute abandonnée à la mort du duc de Bourgogne en 1404), il faut en conclure que ceux-ci étaient dès cette époque en pleine possession de leur art: celui-ci se distingue par la clarté des compositions et l’harmonie élégante des formes, qualités auxquelles n’est sans doute pas étrangère l’influence de la peinture italienne.

Au service de Jean de Berry

On ignore la date à laquelle les Limbourg furent engagés par le duc de Berry. Tout porte à croire cependant que ce fut très tôt puisque, dès 1405, une charte du duc, aujourd’hui disparue mais connue par une bonne reproduction lithographique, était enluminée par l’un d’eux. À la différence du commun des enlumineurs de l’époque, astreints aux pratiques commerciales, les Limbourg, comme avant eux André Beauneveu et Jacquemart de Hesdin, furent des artistes de «sérail», entièrement pris en charge par le duc et travaillant à son service exclusif. Ils semblent même avoir fait partie du cercle des familiers du prince dont la faveur à leur égard ne se démentit plus jusqu’en 1416, année de la mort des trois frères et de leur patron.

La rencontre de ces artistes aux dons exceptionnels et du mécène le plus raffiné qu’ait connu la France à cette époque est à l’origine de deux chefs-d’œuvre, les Belles Heures (musée des Cloîtres, New York), et les Très Riches Heures (musée Condé, Chantilly). Les Limbourg se virent confier également divers travaux de complément dans d’autres livres d’heures exécutés antérieurement pour Jean de Berry. La chronologie de ces différentes œuvres, à l’exception des Très Riches Heures , que l’on peut dater avec certitude entre 1413 et 1416, est encore mal assurée: elle paraît devoir être révisée en ce qui concerne les Belles Heures , placées généralement vers 1410-1413, mais dont le style, encore très proche de celui de la Bible historiée entreprise pour Philippe le Bon, suggère une datation plus précoce. La place que les Belles Heures occupent dans l’inventaire des livres de Jean de Berry dressé en 1413 prouve d’ailleurs qu’elles étaient déjà achevées en 1409, antérieurement aux Grandes Heures (Bibl. nat., ms. lat. 919). Il est probable que les feuillets enluminés par les Limbourg dans le fragment parisien des Très Belles Heures (Bibl. nat., ms. nouv. acq. lat. 3093) remontent à la même époque, tandis que la peinture figurant Jean de Berry partant en voyage, ajoutée aux Petites Heures (Bibl. nat., ms. lat. 18014), semble se placer à la fin de leur carrière.

Une appréciation fondée de l’art des Limbourg exigerait l’établissement préalable de la part qui revient à chacun dans les œuvres qu’ils exécutèrent en commun. Ce délicat travail de discrimination reste encore à faire. L’originalité de l’œuvre des Limbourg prise comme un tout n’en est pas moins éclatante: rien ne saurait vraiment leur être comparé dans la production des ateliers d’enlumineurs de l’époque. Peut-être leur condition de peintres (Jean de Berry semble avoir employé l’un d’eux, probablement Pol, à des travaux de peinture monumentale pour son château de Bicêtre) explique-t-elle ce relatif isolement: ce n’est sans doute pas par hasard que les meilleurs points de comparaison avec l’art des Limbourg soient à chercher dans la peinture de chevalet, et notamment dans les tableaux attribués à leur oncle Jean Malouel et à Henri Bellechose.

Depuis leurs premières créations jusqu’à leur ultime chef-d’œuvre (les Heures de Chantilly , interrompues par leur mort et complétées plus tard par Jean Colombe pour le duc Charles de Savoie) une évolution est sensible, qui se manifeste clairement par un approfondissement continu de la leçon de la peinture italienne, que, seuls, à la même époque, Jacquemart de Hesdin et le Maître des Heures de Boucicaut surent assimiler avec autant de bonheur, bien que de façon différente. L’utilisation parfois littérale de modèles italiens dépasse pourtant la simple imitation; il s’agit plutôt d’une méditation, émaillée certes de citations, mais dont le point d’aboutissement est une vision transfigurée et précise de la nature, qui leur appartient en propre. Celle-ci se trouve magistralement exprimée dans les peintures du calendrier des Très Riches Heures , dont l’effet poétique, accentué par un coloris lumineux et serein, constitue l’une des expressions les plus hautes du style gothique international.

Faire des Limbourg, dans le stade le plus avancé de leur carrière, des précurseurs des Van Eyck est en revanche plus discutable. Certaines peintures du Calendrier des Très Riches Heures invoquées à ce propos ont été retirées de l’œuvre des trois frères pour être attribuées à un artiste anonyme du second quart du XVe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем решить контрольную работу

Regardez d'autres dictionnaires:

  • LIMBOURG — Deux provinces, l’une belge, l’autre néerlandaise, portent le nom de Limbourg. Le Limbourg belge (2 422 km2, 750 435 hab. au recensement de 1991), situé dans le nord est du pays, est formé de trois régions géographiques: la Campine au nord, la… …   Encyclopédie Universelle

  • Les Très Riches Heures du duc de Berry —  Ne doit pas être confondu avec Les Très Belles Heures du duc de Berry, Les Belles Heures du duc de Berry, Les Petites Heures de Jean de Berry ni Les Grandes Heures du duc de Berry. Les Très Riches Heures du duc de Berry …   Wikipédia en Français

  • Les frères Limbourg — Frères de Limbourg Les Très Riches Heures du duc de Berry Septembre (vendanges devant le château de Saumur) Pol, Jean et Hermann de Limbourg, dits les Frères de Limbourg (Paul, Herman en Johan, Gebroeders van Limburg, en néerlandais), nés vers… …   Wikipédia en Français

  • Les frères de Limbourg — Frères de Limbourg Les Très Riches Heures du duc de Berry Septembre (vendanges devant le château de Saumur) Pol, Jean et Hermann de Limbourg, dits les Frères de Limbourg (Paul, Herman en Johan, Gebroeders van Limburg, en néerlandais), nés vers… …   Wikipédia en Français

  • Les Petits Einsteins —  Ne pas confondre avec Little Einstein, gamme de produits pour enfants de la Baby Einstein Company Les Petits Einstein Titre original Little Einsteins Genre Série d animation, Musicale Créateur(s) Eric Weiner …   Wikipédia en Français

  • Limbourg (Village) — Limbourg (ville) Pour les articles homonymes, voir Limbourg. Limbourg …   Wikipédia en Français

  • Les Tres Riches Heures du duc de Berry — Les Très Riches Heures du duc de Berry Pour les articles homonymes, voir Berry (homonymie). L ascension du Christ Les Très Riches Heures du duc …   Wikipédia en Français

  • Les Très Riches Heures — du duc de Berry Pour les articles homonymes, voir Berry (homonymie). L ascension du Christ Les Très Riches Heures du duc …   Wikipédia en Français

  • Les Très Riches Heures Du Duc De Berry — Pour les articles homonymes, voir Berry (homonymie). L ascension du Christ Les Très Riches Heures du duc …   Wikipédia en Français

  • Les très riches heures du Duc de Berry. — Pour les articles homonymes, voir Berry (homonymie). L ascension du Christ Les Très Riches Heures du duc …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”